Depuis que j’ai quitté les bancs de l’école primaire, je n’ai pas eu le sentiment que les règles grammaticales ou le vocabulaire aient évolué en que ce soit. Même nos fameux Haricots, dont on avait pu penser dans un moment de faiblesse qu’ils pouvaient finalement se prononcer « lezarico », ont retrouvé leur H aspiré. Quant à nos  grands dictionnaires, ils sortent en grande pompe chaque année une nouvelle édition mettant en avant des nouveautés qui correspondent le plus souvent à des mots déjà en usage. Ne parlons pas de l’Académie française, tout le monde se désintéressant de ses pseudo-travaux.

Rien de tel en Suède. Après quelques mois d’initiation, j’ai acquis la conviction d’avoir affaire à une langue qui, tant à l’oral qu’à l’écrit, évolue en parallèle de la société, avec le souci de répondre aux nouveaux besoins tout en simplifiant. Pour désigner un nouvel objet ou un nouvel usage, les Suédois ont recours soit à la création d’un nouveau mot, soit à l’emprunt. Cette dernière option est tellement répandue qu’elle porte elle-même un nom : on parle d’un « låneord« , expression résultant de l’association de deux substantifs suédois : « ord » (mot) et « lån » (emprunt). Cette pratique est très utilisée, la langue d’emprunt étant le plus souvent le langage dominant du moment : le français au 18ème, l’anglais de nos jours. Rien de mieux que quelques exemples pour illustrer mes propos :

Le jour où j’ai repéré le verbe « tajma » dans le « Göteborgs-Posten » (quotidien le plus lu à Göteborg), je me suis demandé ce que signifiait ce terme à l’apparence si peu suédoise qui ne figurait même pas dans mon dico suédois-français. Après avoir découvert quelque temps plus tard le substantif correspondant, j’ai compris que « tajming » et « tajma » correspondaient à la transcription en orthographe suédoise du terme anglais « timing », et signifiaient bien sûr « synchroniser » et « synchronisation ».

Autre exemple illustrant le sens de la simplification des Suédois : alors que le Français doit utiliser huit mots pour signifier qu’un salarié « prend des congés pour garder un enfant malade », le Suédois n’en utilise qu’un seul : il « vabbar« , terme provenant de la contraction des termes « vård av barn » (garde des enfants). Si de plus, comme l’autorise le droit du travail en Suède, le parent en question « travaille de chez lui pendant son congé pour garde d’enfant malade » (douze mots), il « vobbar« , contraction de vabba et jobba (travailler) !

Enfin, une situation que tout parent rencontre un jour ou l’autre : Alors qu’on lui propose de nous accompagner l’été dans un voyage fabuleux, notre ado nous répond que vraiment…Non..C’eût été avec plaisir…Mais il a tant de choses à faire… Bref, il préfère rester a la maison ! De ceux-la, les suédois disent tout simplement qu’ils « hemestrar« , contraction du substantif « hemma » (maison) et du verbe « semestra » (prendre ses vacances) !

Je ne résiste pas au plaisir de vous faire part de ma dernière trouvaille. Que ce soit à Bruxelles ou au ministère du travail, les journalistes évoquent souvent des « négociations qui se poursuivent toute la nuit » (sept mots – trente-neuf lettres). Pour dire la même chose, les Suédois utilisent  un seul mot de douze  lettres : nattmangling !

Vive les langues bien vivantes !